Collection Bardinet Autour de Bardinet & Negrita XIX° & XX°S : BARDINET – Les patrons du Second Empire

XIX° & XX°S : BARDINET – Les patrons du Second Empire

Extrait de : BORDEAUX ET LA GIRONDE – Les patrons du Second Empire – Hubert Bonin – 1999

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BARDINET

Pendant le Second Empire : Limoges
Une maison appelée Bobin est créée en 1857 à Limoges pour la fabrication de liqueurs et le commerce des vins. François Bobin. son dirigeant, s’associe (pour 100 000 francs) en 1863 à Paul-Augustin-Marie Bardinet ( 1837-1901)(qui fournit 20 000 francs), avant de laisser l’entière propriété et responsabilité de la firme à celui-ci en juin 1865. Ainsi le nom de Bardinet entre-t-il dans l’his­toire commerciale. Bardinet s’associe à son tour, avec un voyageur de commerce, Claude-Auguste Coste, en juillet 1869, celui-ci ne procurant que 20 000 francs, puis, lorsque la société devient une société en nom collectif en 1875, 25 000 francs face aux 125 000 francs levés par Bardinet lui-même. Mais la firme est toujours fïxée à Limoges où, entre 1872 et 1877, Bardinet est juge au Tribunal de commerce.

Après le Second Empire : le glissement de Limoges à Bordeaux
Une étape supplémentaire est franchie en 1879 quand Coste se retire de la société et, surtout, quand, en 1891, le fils de Paul Bardinet, Édouard (1866-1936). s’associe à son père pour monter une firme de commerce des rhums à la Jamaïque, à Saint-Elisabeth. La société de Limoges est bouleversée finalement en 1892 pour accueillir le fils Édouard (50 000 francs) et le gendre Louis Maleyx (50 000 francs), aux côtés de Paul Bardinet lui-même (220 000 francs) – Maleyx décède toutefois dès 1896.

A cette date, Paul Bardinet confie la totale propriété de l’entreprise à son fils Édouard. Or lui-même réside alors à Caudéran, commune limitrophe de Bordeaux, et le contrat est conclu chez un notaire bordelais. Ainsi la firme née sous le Second Empire accède-t-elle à la fin du siècle à la place de Bordeaux, oü les marques de rhums se sont déjà multipliées (Clément, Dillon, Duquesne, etc.), en raison de l’intimité des liens avec les Anlilles et de la poussée de la production de canne à sucre et de l’industrialisation de son traitement.

La société Galibert & Varan, spécialiste elle aussi des rhums et future firme renommée, est créée à Bordeaux en 1850 par Armand Galibert et Fabien Varan, jusqu »alors cadres de la maison de négoce de vins Séguinaud ; avec aussi Ernest Galibert, ils montent une firme consacrée au commerce des vins et à l’importation de rhums, avant de !’orienter dans les années 1870 plus spécifiquement vers le commerce des rhums : ils sont alors rejoints en 1878 par Arthur Séguinaud (1849-1904), gendre d’Armand Galiben et par les neveux de Varan, Paul et Jules Forsans, en 1876 et I 878 : une société durable, sous le nom de Les Neveux de Galibert & Varan entre 1900 et 1923 (quand elle devient une société anonyme), a ainsi pris corps en un quart de siècle. Elle s’affirme clone quelque peu comme l’une des concurrentes directes de Bardinet.

Pourtant, Bardinet déploie au service du rhum un talent commercial plus renommé encore, grâce à un savoir-faire relativement pionnier dans la gestion d’une marque (et de l’image de marque ainsi que du déploiement publicitaire qui l’accompagnent). En effet. Bardinet dépose dès 1886 la marque La Negrita, qu’elle a lancée en 1884. Elle vend en outre du brandy et du cognac sous la marque Old brandy Edwards & Cie, de la fine champagne Paul de Lissac et de la fïne champagne de Baupeyrat, vieux cognacs situés plus haut en gamme, tandis qu’elle distribue aussi quelques liqueurs comme du curaçao.

La «négresse>> au madras bleu qui sert d’emblème au Negrita symbolise
en fait le passage des alcools de qualité modeste, du genre des tafias, à un rhum disposant d’une réputation commerciale stable, fournie grâce à des assem­blages (blend) de rhums des Caraïbes et à un enrichissement au sein des foudres en chêne du Limousin. La percée du rhum serait liée à son efficacité pour aider les soldats à résister aux rudes conditions de vie pendant la guerre de Crimée; celle-ci aurait contribué à la popularité de celle boisson ; mais, en fait, on peut penser que la suppression des droits de douane à l’importation des alcools coloniaux en juin 1854 constitue l’occasion décisive: notons que la firme Bobin est créée à Limoges trois années après ce décret. D’autre part, la percée du sucre de bellerave incite les producteurs de sucre de canne à valoriser celui-ci et à développer sa transformation en rhum.


L’implantation à Bordeaux constitue un second tournant essentiel dans la vie de la société puisqu’elle se rapproche ainsi du principal port d’importation (avec Le Havre), d’un lieu important de consommation (rhum, « café-rhum ») et sur tout d’un port de redistribution sur l’ensemble des contrées atlantiques, notamment dans les régions portuaires fortes consommalriccs d’alcools. telle la Bretagne.

 

L’avenir de la société
Les frères d’Édouard Bardinet, Jean et Ernest Bardinet. le rejoignent au sein de la société en nom collectif en 1902. Le capital apporté par Édouard se chiffre alors à 700 000 francs, ses deux frères procurant seulement 7 000 francs chacun. Cette association est prolongée en 1910 et en 1920, le gendre d’Édouard Bar­dinet, Jean Barennes (1887-1934), la rejoignant en 1919 : ce chartiste et archiviste-paléographe, auteur de nombreux ouvrages d’érudition locale, épouse en effet en 1912 la fille d’Édouard Bardinet et entre dans la maison de négoce. Le statut de société anonyme est finalement adopté en 1924, avec un capital de 6 millions de francs: l’esprit d’entreprise surgi pendant le Second Empire se cristallise ainsi avec l’acquisition de la pérennité sociale nécessaire. D’ailleurs. dès cette époque, Negrita est devenue synonyme de rhum clans les usages quotidiens des consommateurs ; un signe est en fourni par les nombreuses contrefaçons qui surgissent désormais.

La force commerciale et la réputation acquises par Bardinet permettent à la
société de traverser les décennies, notamment la grave crise des rhums vécue par la place bordelaise en 1931, d »occuper plus de la moitié du marché dans les années 1940/1970, d’évincer nombre de ses concurrents (comme le rhum Charleston, de Marie Brizard), bien qu’elle ne parvienne pas à la renommée internationale obtenue par les rhums blancs Bacardi. Mais des dissensions fami­ liales et une relève générationnelle débouchent sur la reprise de la société par une autre entreprise familiale d’origine antillaise, La Martiniquaise (avec les marques Dillon et Old Nick, pour le rhum, Label 5 pour le whisky, etc). au milieu des années 1990; elle est contrôlée par une société holding, la Compa­gnie financière européenne de participations, qui dépend de la famille euro­ antillaise Cayard.

SOURCES
Le centenaire de la sociéré Les Fils de P. Bardinet, Plaquettee commémorative. 1957.
DEYRIES Pierre, histoire d’une sociéré commerciale bordelaise. La société Les Fils de P. Bardinet de 1924 à 1957, mémoire de maitrise d’histoire, Université de Bordeaux 3 (/\. J. Tudesq dir.), 1986.
PÉHAUT Yves, « Le commerce el lïndustrie du rhum à Bordeaux», Les Cahiers d’outre-mer. 1953. pages 352-363.
FOURNET Philippe. « Bordeaux. capitale française du négoce et de l’industrie du rhum, dans Colloque des eaux-de-vie et spirirueux. CNRS, Bordeaux. 1982.

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Source de la page :  BORDEAUX ET LA GIRONDE – Les patrons du Second Empire – Hubert Bonin – 1999

Résumé
Ce dictionnaire correspond au volume VI de la collection Les patrons du Second Empire, dirigée par Dominique Barjot. Il marque une nouvelle avancée de l’enquête engagée par l’Institut d’Histoire moderne et contemporaine du CNRS. Il ne se veut pas une nomenclature de fiches austères et sèches ! C’est au contraire le rassemblement d’une soixantaine de monographies substantielles de familles, de patrons et de leur entreprise. Cela permet une évocation assez fouillée de la vie économique des rives de la Gironde pendant des décennies clés : c’est l’époque en effet où les cahots et parfois, mais juste pendant quelques trimestres, la suspension de l’expansion provoquée par les troubles militaires et politiques de la période révolutionnaire et bonapartiste sont nettement effacés. Après le vif renouveau des années 1820/1830, les années 1840/1880 marquent une nouvelle  » Belle Epoque  » pour le port bordelais. Cependant, comme l’histoire économique et plus particulièrement celle des entreprises, la  » business history « , peuvent sembler rébarbatives, ce Dictionnaire offre au lecteur curieux du destin des hommes une occasion de participer à une histoire  » incarnée  » : les événements, les mutations de l’économie, l’enrichissement du capitalisme de la place, sont mis en scène par les  » héros  » de l’économie, les capitalistes, les patrons  » entrepreneurs « , ceux qui prennent les initiatives d’investir en usines, en navires, en réseaux commerciaux, ceux qui mobilisent et rénovent les savoir-faire des marchands, des banquiers ou des industriels. Le champ de l’investigation est surtout bordelais et girondin, mais ce dictionnaire mène quelques incursions dans les Landes et dans le Périgord, qui ont participé alors à la Première Révolution industrielle sidérurgique et qui méritaient donc d’apparaître ici. Ce dictionnaire ne peut passer pour un ouvrage régionaliste destiné aux seuls  » érudits locaux  » ; en effet, il s’inscrit d’abord dans une enquête nationale et une collection, ce qui permet des comparaisons interrégionales ; et, surtout, chaque monographie s’ouvre sans cesse à des réflexions sur les positions, les parts de marché, occupées par la famille et son entreprise au niveau national, avec une appréciation de son  » retard  » ou de ses  » archaïsmes  » ou au contraire de ses initiatives pionnières. Comme d’ailleurs le port de Bordeaux à cette époque, ce Dictionnaire est largement ouvert aux vents de l’histoire nationale et surtout internationale !